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El MARKET : SUBDUCTION (EPISODE 4)
Temps de lecture : 7 minute
9 juin, 2021 par
El MARKET : SUBDUCTION (EPISODE 4)
Clara de el MARKET
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SLOW UP -  Chapitre 4 “Subduction" par Pierre, co-fondateur de el MARKET

Vous avez raté les premiers épisodes ? Les voici : Episode 1 : cristallisationEpisode 2 : fusion, Episode 3 : Métamorphisme 


Subduction : La subduction est un processus d'enfoncement d'une plaque tectonique sous une autre plaque de densité plus faible, en général une plaque océanique sous une plaque continentale ou sous une plaque océanique plus récente.

-Consulat de France de Bogota, Bonjour

-Bonjour, Monsieur Malavielle, je me permets de vous appeler concernant une demande de VISA pour ma future épouse.

-Je vous passe le service des VISA.


Mise en attente sur une musique classique, j’attends 2 minutes avant d’entendre une voix féminine à l’autre bout.


-Allo, oui

-Oui, bonjour Monsieur Malavielle ici, je vous téléphone concernant la demande de VISA pour le mariage de mon amie qui a été refusée.

-A quel nom?

-Otero Diana

-Attendez, je recherche son dossier,... Oui effectivement son VISA a été refusé.

-Est-ce que je pourrais en avoir la raison?

-Monsieur, nous n’avons pas à justifier nos refus.

-Et vous ne pourriez pas m’aiguiller pour savoir ce qui ne va pas.

-Nous n’avons pas à justifier nos refus, Monsieur.

-Ah,... Et dans ce cas, est-il possible de refaire une demande?

-Tout à fait monsieur, mais si le VISA a été refusé une première fois il est inutile de représenter le même dossier, il sera aussi refusé.

-Et quels éléments pouvons-nous apporter en plus?

-Veuillez suivre les consignes qui sont demandées lors de l’établissement du dossier.

-Euh, très bien merci, c’est ce qui avait été fait la première fois,  bon et bien bonne journée.

-Bonne journée Monsieur.


Nous ne le savons pas encore, mais l’obtention d’un VISA, d’un titre de séjour ou une demande de nationalité est un long parcours qui se joue parfois sur des détails.


En attendant de refaire notre demande au consulat, nous avançons sur notre étude de marché. Quelques grandes lignes commencent à se dégager : l’emplacement, l’expérience et les finances. C'est-à-dire les points que nous maîtrisons le moins bien et qui sont pourtant essentiels.


L'emplacement tout d’abord. Il parait que pour une boutique les trois choses les plus importantes sont le local, le local et le local. Le local c’est le bon quartier, une rue passante ou non, le bon trottoir de la rue. L’endroit qui permet de toucher le plus de personnes intéressées par nos produits par le simple passage devant la boutique. Ensuite le local c’est sa surface, trop petit, nous n'atteignons pas le point d’équilibre suffisant, trop grand, on risque de se perdre. C’est aussi la vitrine qui doit permettre aux personnes de facilement et rapidement comprendre ce que nous faisons. Et enfin le local c’est évidemment son prix. Plus c’est grand et bien placé, plus c’est cher et la marche risque d'être trop haute pour le début. Plus petit et moins cher c’est un frein pour le développement et aussi moins de personnes qui peuvent venir. Le prix c’est aussi l’investissement des travaux, un local en bon état nécessite moins d’investissement qu’un local en ruine.


Nos recherches pour cette perle rare nous ont rapidement dirigé vers le quartier de Wazemmes et plus particulièrement la rue Gambetta. Le quartier est en pleine métamorphose. L’éthique n’est pas encore présente mais c’est le lieu un peu underground, ethnique, culturel et qui bouge. La rue Gambetta est à l'époque un peu en perdition et les loyers sont plus abordables. C’est une rue avec des commerces originaux, loin des rues piétonnes standardisées de chaque centre-ville. De plus, il y a du passage et de la diversité. C’est donc dans cette rue que nous axons nos recherches.


La zone de recherche du local étant bien définie, nous pouvons travailler sur le second point : notre manque d’expérience. Et  c’est parmi les documents envoyés par nos potentiels fournisseurs que Diana trouve une solution et m’en fait part au téléphone.


-Pierre, tu as vu en dernière page de ce fascicule, ce fournisseur cherche des porteurs de projets pour monter un réseau de franchise.

-Une franchise ? Très peu pour moi. Quitte à avoir les contraintes d’être indépendant, je préfère encore garder notre liberté de choix. Un franchisé ne décide de rien mais assume tout.

-Peut-être, mais il faut reconnaître que nous manquons d’expérience et de savoir-faire. On pourrait les rencontrer pour en savoir plus.

-Hors de question, c’est une perte de temps et nous savons déjà qu’ils diront non.

-Humm…Ce n’est pas toi qui dit qu’il faut frapper à toutes les portes pour saisir toutes les opportunités…

-…


Diana vient de marquer un point.


-Tu les rencontres alors, mon chéri?

-Ok, je vais les contacter. Après tout, il n’ y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis


Le rendez-vous est pris lors du second forum du commerce équitable, qui a lieu à Saint-Denis au printemps 2006 quelques jours plus tard. Ce forum est, à l’époque, assez confidentiel et restreint mais c’est l’occasion de rencontrer des fournisseurs et de voir “en vrai” leurs produits.


Après une matinée à déambuler dans les allées, je retrouve Nicolas avec qui j’ai rendez-vous à l’heure du déjeuner. C’est lui qui est en charge du réseau et de la boutique sur Paris. Je décide directement d'être clair et transparent, lui présente notre étude de marché et lui parle de notre projet de boutique sur Lille.


Le contact passe bien, Nicolas est originaire de Lille et connaît bien la ville où il a fait ses études. Il me présente leur structure. Cette boutique créée par un groupe d’insertion sociale a pour but de permettre à des gens en difficultés de retrouver un travail et de se réinsérer dans la société. Le groupe n’en est pas à sa première aventure, des centres d'aide aux personnes toxicomanes, des restaurants à insertion sociale, les projets sont nombreux et c’est plus de 10.000 personnes qui y travaillent dont la plupart en insertion. Ils n’ont pour l’instant qu’une seule boutique en nom propre à Paris et se sont décidé à soutenir des porteurs de projets pour des boutiques de commerce équitables. Le projet en est à son début et il faut construire ensemble le modèle. L’idée nous plaît, faire partie d’un réseau, partager nos expériences. Il semble que nous ayons trouvé là un compromis entre franchise et éthique. D’autres appels téléphoniques suivront, d’autres rendez-vous pour affiner notre choix.. Nous serons dans quelques mois, la première boutique du réseau à ouvrir. (Nous serons aussi la dernière 8ans plus tard mais ça c’est le prochain chapitre)


Entre temps, Diana a avancé sur son dossier de demande de VISA, lettre à l’appui, finances, projets et surtout copie officiel de la publication des bancs de notre mariage en Mairie de la Madeleine, où nous habitons. Un nouveau rendez-vous est pris au consulat et un nouvel entretien se déroule. Sans que l’on sache très bien ni pourquoi, ni comment (les mystères de l’administration), la réponse tant attendue arrive quelques jours après. La demande Visa est enfin acceptée! Lorsque Diana m'annonce la nouvelle, c'est un mélange de joie, d’excitation et d’appréhension qui nous envahit. Cela paraît presque irréel d’avoir résolu cette première difficulté. Après cinq mois d’attente, fin mai 2006, les retrouvailles se déroulent à l’aéroport de Charles de Gaulle. Cette fois-ci Diana apporte le soleil, surement un signe que notre ciel s'éclaircit. Quinze jours plus tard, nous nous disons oui en Mairie. Nous savourons cette première victoire. Bientôt nous découvrirons les joies du renouvellement de permis de séjour et ces journées d’attente à la préfecture.


Pour le projet, nous nous attaquons maintenant au volet financier, et nous devons revoir notre plan d’action. Nous n’avons que trop peu de mise de départ pour espérer démarrer et que les banques nous suivent. Les banques ne prêtent qu’aux riches ou tout du moins à ceux dont ils sont quasiment certains qu'ils pourront rembourser leur emprunt. C’est somme toute assez logique, les banques même éthiques n’ont pas vocation à perdre de l’argent.


Nous devons donc trouver d'autres financeurs. Nous avons entendu parler des business angels. L’idée est séduisante de trouver un partenaire prêt à investir dans notre projet. Encore faut-il que celui-ci soit aussi intéressé par notre projet, sa particularité et sensible à notre éthique. Cependant, il s'avère qu'un investisseur cherche surtout à rentabiliser, si possible au plus vite son investissement. Pour un projet comme le nôtre qui place l’humain au centre, cela risque de ne pas coller. Pas évident de trouver la perle rare.


En croisant nos recherches de financement et de partenaires et réseaux sociaux et solidaires. Nous finissons par rencontrer l’APES (les Acteurs Pour une Economie Solidaire) qui peut nous aider à trouver les bons interlocuteurs sur ce type de projet.

Après leur avoir présenté qui nous sommes, notre parcours et notre projet, nous découvrons que pour nos interlocuteurs, notre projet s’inscrit dans une démarche de l’ESS (l’Economie Sociale et Solidaire). Nous mettons un peu de temps à en comprendre les subtilités (et je ne suis pas sûr de les avoir toutes comprises encore aujourd’hui) mais pour résumer c’est placer l’humain au centre d’un projet et non la valorisation du capital. Cela correspond tout à fait à notre état d’esprit.


Pour faire simple, on peut distinguer l'Économie Sociale et l'Économie Solidaire. L'Économie Sociale est née au 19e siècle notamment en Angleterre, et en Allemagne. A l'époque, les conditions de travail des ouvriers sont difficiles et précaires. On invente donc la coopérative en 1844 à Rochdale en Angleterre. Les Équitables Pionniers mettent en commun les machines de tissage, la production mais aussi la vente. Ils peuvent ainsi maîtriser leurs coûts et leurs revenus pour assurer les emplois. C’est aussi une participation de chacun dans le projet et non une décision venue d’en haut. Robert Owen, toujours en Angleterre, énonce le principe de “8 heures de travail, 8 heures de loisirs et 8 heures de sommeil”. En Allemagne à la même époque, Frédéric-Guillaume Raiffeisen lance les premières caisses de crédit qui permettent par exemple d'investir, en commun, dans un four à pain collectif. C’est une révolution des mentalités qui se déroule à l’époque. On en retrouve encore les traces aujourd’hui dans les coopératives ou les mutuelles.


Il faut attendre le 20e siècle et plus particulièrement la crise de 1973 pour voir apparaître l'Économie Solidaire. Cette fois-ci il n’est plus question de structurer et d’améliorer les conditions de travail mais de soutenir et aider les plus précaires avec l'apparition du chômage de masse. Les associations se développent pour venir en aide aux plus démunis.


Par la suite de nombreux décrets et décisions ministériels, les deux économies se regroupent en une seule : l’Economie Sociale et Solidaire, l’ESS. On peut distinguer 5 grandes règles communes, la liberté d’adhésion, la non lucrativité individuelle, le principe d’une personne égale 1 voix, l’utilité sociale et collective du projet et la mixité des revenus pour les structures comme les associations, les mutuelles ou les coopératives. 


Mais comme statut ne vaut pas vertu et inversement, pour les entreprises comme la nôtre (SARL), différentes certifications seront mises en place au cours des années 2010. De l'agrément “Entreprise Solidaire” à l’agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale), les critères sont la recherche d’un objectif social inscrit dans les statuts, la limitation d’écart de revenus entre les salaires les plus faibles et les plus hauts et la non présence de titres de l'entreprise sur les marchés boursiers.


A cette réunion, nous nous rendons compte que comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, notre projet s’inscrit, comme de nombreux autres avant nous, dans une démarche sociale et solidaire.


l’APES nous communique les coordonnées de plusieurs structures financières et éthiques. les CIGALES (Club d'Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l'Épargne Solidaire), A&S (Autonomie et  Solidarité, la NEF (Nouvelle Economie Fraternelle) et le Crédit Coopératif.


A&S est une société de capital risque régionale qui vise à soutenir les entreprises pour créer de l’emploi dans la région tout en respectant l'environnement. Elle prend des participations dans le capital en restant minoritaire (ce qui nous laisse les mains libres pour diriger notre entreprise), ou en compte courant (ce qui permet d’avoir plus de fonds pour une demande d’emprunt bancaire). “Ses actionnaires ne recherchent pas de dividendes ou de plus-values, mais la certitude que leur participation est investie dans des entreprises qui créent des emplois et dont le fonctionnement correspond à une éthique solidaire” (site officiel A&S). Lors de l'entrevue que nous passons avec eux, une dizaine de personnes, sensible à notre projet mais soucieuse aussi de la viabilité économique nous posent des questions sur la viabilité économique, notre expérience, nos finances.

Ce n’est pas tant nos réponses qui les intéressent mais la manière dont nous avons à solutionner les problèmes. Tous ont une expérience professionnelle riche et alliant économie et éthique. Le projet mais surtout les porteurs de projet les intéressent et ils décident de nous suivre en rentrant au capital et en compte courant. Une première étape est passée, et notre dossier pour les banques s'épaissit.


Nous rencontrons dans la foulée un club CIGALES, les CIGALES ATOUT+. Nous nous retrouvons au deuxième étage du Café Citoyen à Lille où une quinzaine de personnes sont présentes pour écouter notre présentation. Ici nous avons en face de nous des citoyens de tout bord chacun avec une expérience et une sensibilité propre. Comme tous les clubs CIGALES, ils se rencontrent une fois par mois, discutent de leur envie de projets à soutenir, de l’aspect social, environnemental et mettent chacun une petite partie pour le financement. Certes l’apport est moindre que A&S mais la variété des profils est représentative de nos futurs clients. Le projet leur parle à tous sauf à une personne, Jean, qui émet de nombreuses critiques sur le choix de Wazemmes et notre expérience. Le quartier est pour lui en décrépitude et nous n’avons que notre bonne volonté pour réussir. Après 1h de discussion, nous nous retirons pour les laisser délibérer. Quelques instants plus tard, on vient nous chercher.


-Pierre et Diana, nous avons discuté ensemble de votre projet et avons procédé à un vote.


Nous sentons monter une certaine appréhension en nous.


-Nous avons voté à l'unanimité moins 1 voix pour soutenir votre projet.

-Génial, merci beaucoup s’exclame Diana.

-Merci, dis-je en affichant un large sourire.

-Et comme vous le savez, nous avons aussi choisi un parrain. Son rôle est de vous épauler, de vous aider à réaliser votre projet et vous apporter son expérience durant les 5 années à venir de notre participation. Nous avons choisi Jean. C’est en effet le plus sceptique sur votre projet, il aura donc un regard plus critique et saura mieux vous conseiller.


Si sur le coup, nous n’avons pas bien compris ce choix, (pourquoi ne pas prendre la personne la plus enthousiaste), il s’est avéré être le parrain parfait dans notre aventure. Jean nous a aidé (et le fait encore volontiers aujourd’hui) dans de nombreux aspects de notre projet. Sur bien des points et notamment financier, ses conseils et remarques ont toujours été précieuses. Nous pensons sincèrement que notre projet n’aurait pas été le même sans son aide et son regard bienveillant. Nous lui devons beaucoup.


Nous rencontrons aussi nos financeurs, la NEF et le Crédit Coopératif. Ces deux organismes bancaires sont séduits par notre projet. Le dialogue ne se fait pas que sur l’aspect financier mais aussi sur nous, notre vie, notre projet, notre travail en couple. D'autres organismes financiers plus classiques accepterons aussi de nous suivre mais il nous semble logique dans un projet éthique d’avoir des partenaires qui partagent nos valeurs.


Les vacances d’été cette année-là sont courtes et studieuses. Juste après la rentrée scolaire, nous trouvons un local situé au 128 rue Léon Gambetta. Il s’agit d'un ancien local des pompes funèbres du Nord. Une chose est sûre, nous ne pourrons pas reprendre la clientèle.


Nous passons commande auprès de nos fournisseurs pour préparer le mois de décembre qui arrive et sera déterminant pour la suite et notre solidité financière. Une fois cela fait , nous nous mettons au travail sur l'aménagement du local avec l’aide de nos amis venus nous prêter main forte. Nous repeignons en “soleil orange” et jaune les murs, installons des étagères murales aspect wengée et le comptoir en bois. Nous laissons en place la moquette bleue par manque de budget. Le résultat final est assez bariolé mais les produits arrivent déjà et il faut les mettre en place. Au fond de la boutique, la mode, à l’avant la déco et l’art de la table. Nous conservons un bureau au rez-de-chaussée et une salle de présentation. La mezzanine, elle, servira de lieu de vie pour des expositions, des ateliers. L’ordinateur et la caisse sont en place, les cocottes en chamba sont disposées sur les étagères, les T-shirts en coton bio mis sur cintres, les sacs en bâche publicitaire présentés au fond, une étagère de thé, de biscuits et de café est placée à côté de la caisse, les meubles du Burkina Faso et du Honduras sont disposés au centre de la boutique, les bijoux en Tagua de Colombie ou les vases en bambou trouvent leur espace. Nous sommes le mardi 21 octobre 2006 et nous ouvrons pour la première fois notre boutique après 1 an de travail, de contretemps, d’espoir, de rencontres, de réunions. Nous sommes impatients de voir la réaction des gens et nous nous demandons comment nous allons pouvoir gérer la foule qui s’élancera dès l'ouverture dans notre boutique et remplira nos allées à la recherche de la perle rare. Il est enfin 10h du matin ce mardi matin et nous ouvrons enfin le volet pour découvrir… que absolument personne n’est derrière et les passants de la rue Gambetta semblent totalement indifférents à l'événement. Nous réalisons alors qu’il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour réussir. Et ce n’est pas le sucre déposé à l’entrée par Diana pour “attirer les clients” qui changera grand chose.


A suivre...



Crédit photo : Julie Béal (http://www.juliebeal.com/)

El MARKET : SUBDUCTION (EPISODE 4)
Clara de el MARKET
9 juin, 2021
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